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Tribune : « Vérité et réconciliation »

Dernière mise à jour : 15 janv.

Le 15 avril 2023


Nous avons toutes et tous des souvenirs très douloureux de la crise sanitaire d’août 2021 liée au Covid. Nous avons toutes et tous perdu un ou plusieurs proches, tant aimés. Cette douleur est parfois inconsolable, d’autant que le Péyi Gwadloup s’est divisé à partir d’opinions différentes sur ce qu’aurait dû être la meilleure gestion de cette crise exceptionnelle, qui s’est enlisée dans un conflit social profondément marquant. Et ces divisions sont encore visiblement présentes, sans avoir été cicatrisées ni même réparées.


Au sein du collectif GED, nous souhaitons préparer l'avenir en tenant compte des erreurs du passé. Nous souhaitons travailler à reconstruire la Guadeloupe, sa société, sa population sur des fondements éthiques et démocratiques, en trouvant ce qui pourra nous rassembler et non plus nous déchirer. Nous sommes des citoyen.nes engagé.es en faveur du bien commun dans un pays de libertés. Pour le respect et le devoir de vérité dus à chaque Guadeloupéen.ne, nous pensons que la première étape est de revenir sur les faits de ce terrible mois d'août 2021, si tant est que l’on puisse avoir une vision commune d’un événement traumatique. La deuxième est de faire des propositions que nous présentons ici. Au-delà des mémoires conflictuelles, il nous faut construire l’histoire et faire péyi.


1. Rappel des faits concernant la crise Covid au CHUG en Août 2021.


Notre CHU a fourni un travail extraordinaire pendant des mois en 2021, sans avoir les capacités initiales pour gérer un flux de malades incessant, car aucun hôpital ne pouvait être préparé à une telle ampleur. Partout sur Terre, la pandémie a pris de court les structures hospitalières, quand le tsunami des personnes gravement atteintes s’est révélé plus haut que la capacité d’absorption des hôpitaux. Cette exceptionnelle conjoncture a rencontré des fragilités structurelles et populationnelles en Guadeloupe. Notre CHU ne pouvait pas faire face à la vague Delta sans que des victimes s’accumulent, malgré tous les moyens humains, les traitements et renforts matériels possibles.


Nous étions dans une situation comparable à celle d’une médecine de catastrophe. Au plus fort du pic du mois d’août 2021, ce n’est pas moins de 80 patient.es Covid par jour qu’il fallait accueillir au CHU pendant plus de 15 jours. Ce qui était l’équivalent de 700 arrivées par jour dans un CHU comme celui de Bordeaux. Les véhicules de secours et hélicoptères déposaient parfois un.e patient.e toutes les 5 minutes au CHU de Pointe-à-Pitre. Ce n’était pas une seule crise sanitaire, mais une succession de catastrophes sanitaires chaque jour pendant presque trois semaines. Il a fallu en gérer les conséquences pendant des mois. Tous les établissements et personnels de Guadeloupe ont été réquisitionnés dans une mobilisation générale sans précédent. Mais à la mi-août 2021, le taux de contamination (incidence) liée à Delta en Guadeloupe (2245/100.000) était 9 fois plus important que le taux moyen en France (245/100.000), loin devant la région PACA (589/100.000) [1].


Ce qui doit être rappelé avec force et évidence, c’est qu’aucun soignant en Guadeloupe n’avait pour consigne ou objectif de « tuer ». Des démentis multiples ont déjà été apportés. L’obligation de notre hôpital était de soigner autant de personnes que possible, et de tout faire pour éviter les décès. Face à l’augmentation du nombre de patient.es dans les services, et au risque de manque d’oxygène dans un contexte régional de pénurie, le CHU a d’emblée produit de l’oxygène et commandé de multiples bouteilles à des fabricants guadeloupéens. Les services ont été approvisionnés progressivement en commençant par les urgences et la réanimation [2]. Les soins à domicile ont par contre été déficitaires.


Les patient.es ont été pris.es en charge du mieux possible, en compensant rapidement, grâce aux renforts, les manques de personnels et de moyens matériels chroniques initiaux. Nous ne le redirons jamais assez, les professionnel.les de santé de Guadeloupe et les institutions sanitaires ont fait face avec un courage et un engagement qui forcent le respect, à des situations et des choix parfois très difficiles. Il a fallu distinguer les patient.es qui ne pourraient pas supporter l’épreuve de la réanimation de celles et ceux qui le pourraient. Néanmoins, celles et ceux qui n’ont pas été en réanimation ont reçu d’autres traitements indispensables pour tenter de les sauver d’une issue fatale. Par exemple, l’administration de corticoïdes et d’ivermectine (en tant que corollaire antiparasitaire) a permis de stabiliser et de sauver nombre d’entre eux. En revanche, de nombreuses études scientifiques menées dans le monde entier avaient prouvé l’inutilité de l’hydroxychloroquine sur le SARS-CoV-2 et sa toxicité, dès les premières vagues de 2020 et encore plus sur le variant Delta.


Des décisions collectives, prises après questionnements éthiques, ont permis d’accompagner humainement et dignement, dans la fin de vie, celles et ceux que ce virus, combiné à d’autres pathologies lourdes, conduisait inévitablement jusqu’à la mort, en leur évitant des souffrances atroces. L’objectif collectif était de prodiguer des soins médicaux palliatifs et certainement pas de tuer les gens. Certain.es soignant.es affecté.es dans ces services n’avaient jamais vu pratiquer les soins palliatifs et n’ont pas tou.tes compris leur nécessité médicale et éthique. Tou.tes se souviennent de la souffrance des patient.es avec émotion. Les familles n’ont pas forcément pu constater ce qui se passait car, pour les protéger de la contamination, elles ne pouvaient pas toutes entrer dans les services. La cellule de soutien éthique de Guadeloupe et des Iles du Nord a aussi travaillé progressivement à l’amélioration de la communication avec les familles.


Des Guadeloupéen.nes ont vu des personnes bien portantes disparaître en moins d’une à deux semaines après les tout premiers symptômes. Et c’est bien là l’atrocité du variant Delta : la rapidité avec laquelle les malades mouraient, partout sur la planète. Les premiers symptômes ont trompé les malades qui ont cru à un refroidissement et se sont soignés avec leurs remèdes habituels. Mais soigner le Covid-Delta nécessitait d’intervenir avant le 5ème jour des symptômes (éventuellement pour avoir des anticorps monoclonaux si vous étiez médicalement éligible). Celles et ceux qui ont reçu ce traitement pourraient témoigner. Toutefois, il fallait alors avoir eu préalablement un diagnostic précis par l’un des médecins de ville (débordés) informés de ce traitement. Faute de soins à domicile, quand les symptômes s’aggravaient, sans forcément être visibles, le risque majeur se situait autour du 10ème jour de symptômes. En effet, alors qu’ils pouvaient encore tenir debout et avoir été en forme, voire euphoriques, quelques heures auparavant, les malades pouvaient succomber subitement, car le virus attaquait leurs poumons et les empêchait soudainement de respirer. Le SAMU, les pompiers et les ambulanciers sont intervenus des centaines de fois sur ces cas de détresses respiratoires aigües.


Pour beaucoup de familles, il a été très compliqué d’accepter que leurs proches hospitalisés meurent si vite, si brutalement, alors même qu’ils semblaient aller bien quand ils les ont quittés. Ceci était encore plus incompréhensible (ou déroutant) si les parents avaient nié l’importance de l’épidémie et cru dans les « fake news » qui pullulaient sur les réseaux sociaux, et étaient reprises par certains leaders d’opinion. En effet, il faut se souvenir que la propagande a voulu nous faire croire en août 2021 qu’il n’y avait pas d’épidémie, pas de Covid à l’hôpital, pas de danger avec ce virus, et que le seul danger était le vaccin : ceci était faux. Les Guadeloupéen.nes sont morts du Covid, et de la rencontre mortelle entre cette conjoncture épidémique exceptionnelle, des populations fragiles et des structures et dispositifs de santé débordés et limités.


Alors, comment analyser les responsabilités de la crise de 2021 ? Il est vain de chercher une seule responsabilité à un drame aussi tragique. Tous les responsables devront tirer les conclusions de cette crise, et certains ont multiplié des accusations plutôt que de reconnaître leurs propres erreurs. Nous pouvons comme souvent considérer que la faute vient d’un autre, d’un ailleurs ou de l’État. Certains manquements des services de l’État pourraient être soulignés, en effet. Mais si cela est rassurant, cela nous évite aussi notre propre remise en question. Cela nous divise sur des lignes xénophobes voire racistes, dans une posture stérile d’opposition systématique, mais sans faire de propositions concrètes pour la reconstruction.


L’amélioration du système de santé et des prises en charge dans les hôpitaux de France et des Antilles est une préoccupation permanente et absolument nécessaire pour éviter des drames. Mais faire circuler des messages faux sur le fait que le CHU aurait intentionnellement tué des patient.es ne nous aidera pas à retrouver confiance en notre système de santé. De nombreux soignant.es et médecins ont voulu quitter l’île, des patient.es refusent d’être hospitalisé.es pour d’autres maladies et perdent encore plus de chances de survie en arrivant trop tard avec des symptômes trop graves, ce qui réduit davantage leurs chances de guérison. Et c’est un cercle vicieux qu’il faut casser. Les inégalités de santé s’aggravent quand les plus riches vont se faire soigner ailleurs. Le changement du système de santé et du CHU de Guadeloupe est en cours. La construction du nouveau centre hospitalier qui ouvrira en 2024 sur le site de Perrin aux Abymes, l’expérience et la formation des équipes présentes de longue date, le recrutement de nouveaux médecins et soignant.es, l’arrivée de nouveaux équipements médicaux, vont nous permettre de disposer du meilleur centre hospitalier de la Caraïbe.


2. Introspections fécondes et propositions.


Une autre façon de tirer les conclusions de cette crise est de nous responsabiliser collectivement et individuellement, comme nos voisins caribéens. Nous demander pourquoi le CHU n’avait pas tous les moyens à sa disposition est une étape. Nous pouvons aussi nous demander pour quelles raisons autant de Guadeloupéen.nes ont été contaminé.es.


Faut-il rappeler que la Guadeloupe avait un faible taux de vaccination, que la population, vieillissante, souffrait de multiples pathologies (surpoids, obésité, diabète, hypertension, insuffisance rénale, cancers, sida) ? Que les propagandes multiples (de l’extrême-droite, des Russes, de Qanon, des Chinois, des agitateurs locaux, des faux médecins…) ont matraqué nos réseaux sociaux pour nous conditionner à croire uniquement en la faillite de l’État et de la science, et nous ont vendu les pseudo-vertus de traitements inexistants ou inefficaces, voire dangereux ? Si d’autres traitements se révèlent un jour efficaces, nous les applaudirons : les soignant.es en ont grand besoin.


Que dire des collectifs qui ont attisé la haine en Guadeloupe, qui ont exercé une terreur intellectuelle, empêché les gens de se faire vacciner, d’affirmer leur choix, de travailler au CHU, de s’y faire soigner, ou bien de circuler sur les routes de Guadeloupe ? Le blocage de l’entrée du CHU et celui des routes ont aggravé les difficultés de prises en soins. Pourquoi certains syndicats se sont opposés à la vaccination et son obligation pour les soignant.es durant Delta, alors que certains de leurs leaders étaient vaccinés ? Nous comprenons qu'il est compliqué de revenir sur une prise de position qui a mis délibérément la vie des patient.es en danger, et qui a conduit tant de professionnel.les de santé à la suspension et à une crise sans précédent dans notre île.


Comment certains médias locaux ont-ils pu relayer de fausses informations, donner de l’espace à des vendeurs de rêve voire des gourous, et se focaliser sur les effets secondaires de la vaccination et non sur les dangers du virus ?


Pourquoi n’avons-nous pas toujours su nous protéger, et protéger nos proches, alors que nous étions une population très vulnérable ? Des Guadeloupéen.nes ont pu revenir au pays pour les vacances 2021 avec de faux tests négatifs et ont finalement contaminé toute leur famille en rendant visite sans masque à leurs parents et grands-parents. Pourquoi avons-nous continué d’embrasser nos proches, de débouler dans les rues, en bravant le virus ? Étions-nous mal informés ? Certains jeunes ont pu chercher volontairement à se faire contaminer, notamment dans des « soirées-covid », pour ne pas avoir à se faire vacciner. Comment soutenir aujourd’hui les familles démunies qui, effrayées, ont parfois laissé leurs anciens mourir seuls à domicile ?


Avons-nous vraiment cru en notre invulnérabilité, à notre exceptionnelle résistance à toute épreuve, face à un virus qui tuait partout sur la planète ? Avons-nous pensé que nous pouvions nous passer du vaccin en laissant croire qu’il serait plus meurtrier que le virus ? Pourtant, les chercheurs ont estimé à 800 le nombre de décès évitables par la vaccination en Guadeloupe, et cela laisse une plaie ouverte au sein de tant de familles.


Les chefs d’entreprise et les élus ont-ils eu raison de faire confiance à notre responsabilité collective, en incitant les services de l’État à laisser les frontières ouvertes, pour préserver l’économie ? Quant aux intellectuel.les, aux journalistes critiques et aux élus politiques, ils et surtout elles n’ont pas pu s’exprimer dans l’espace public, sans être menacé.es par des groupes et des réseaux sociaux devenus particulièrement violents.


Enfin, cette crise rappelle la nécessité pour la science et la médecine de dépasser leurs propres limites en étant plus à l’écoute des évolutions sociétales et de la population. Il nous faut bâtir des ponts et des médiations entre les professionnel.les de santé, les scientifiques et les usagers, pour recréer de la confiance et permettre une meilleure compréhension des besoins et des objectifs de chacun, dans un souci de démocratie sanitaire.


Nelson Mandela avait compris que, suite au crime énorme de l’Apartheid, la seule possibilité de reconstruire la société était de mettre en place des commissions Vérité et Réconciliation, que nous pourrions initier aussi en Guadeloupe. Nous avons toutes et tous besoin de vérité, et surtout de réconciliation. Nous relever passe par une phase de reconstruction positive. Seul un processus d’autoréparation pourra nous aider à restaurer confiance et réconciliation.


Nous ne sommes pas un parti politique ni une organisation syndicale. Avec nos convictions diverses qui font la richesse de ce collectif, nous avons la volonté de promouvoir une dimension éthique nécessaire à toute démocratie, afin d’aider au développement d’une intelligence collective se nourrissant de toutes ces individualités riches et fécondes, dont la Guadeloupe a grandement besoin. Pour nous, l’espace public ne peut se résumer à la cacophonie des réseaux sociaux, aux postures réductrices, aux confrontations stériles sacrifiant l’intérêt collectif sur l’autel des intérêts partisans.


Nous, membres du collectif GED, souhaitons promouvoir une espérance renouvelée en l’avenir, où chaque Guadeloupéen.ne bénéficierait d'une information scientifique et médicale objective, à distance des « fake news » et des manipulations nauséabondes, lui permettant de prendre une décision éclairée pour sa santé et celle de ses proches.


Les signataires :

Tony ALBINA (enseignant), Rita AZAR (Journaliste), Germain BEAUTIN (travailleur social), Jenner BEDMINSTER (philosophe), Pascal BLANCHET (professeur de médecine au CHUG), Mirette CALME (professionnelle du paramédical), Elizabeth CHOMEREAU-LAMOTTE (enseignante retraitée), Michel CORBIN (architecte), Gérard COTELLON (ancien directeur du CHUG), David DAHOMAY (cadre territorial), Jacky DAHOMAY (philosophe), Sonia DERIAU-REINE (enseignante retraitée), Danièle DEVILLERS (haut fonctionnaire retraitée), Elvire Edouard DURIZOT (ancien directeur d’établissement scolaire), Michel EYNAUD (psychiatre), Jean-Marie FLOWER (écologue), Tanya FOUCAN (Médecin au CHUG), Greg GERMAIN (comédien), Hervé GUIBERT (chirurgien dentiste), Elisabeth GUSTAVE (enseignante), Béatrice IBENE (vétérinaire), Bruno JOFA (architecte), Christian JOLIVIERE (ancien directeur du CHUG), Marilyn LACKMY (praticien hospitalier), Daniel MARIVAL (journaliste), Viviane MELYON DEFRANCE (médecin), Rosan MONZA (artiste), Stéphanie MULOT (sociologue), Errol NUISSIER (psychologue), Harry OZIER-LAFONTAINE (chercheur agronome), Jacques PAUL (enseignant), Eric PICORD (journaliste retraité), Jean-Claude PIERROT (directeur d’établissement sanitaire), Patrick PORTECOP (médecin, chef de service du SAMU au CHUG), Emmanuel RAVI (directeur d’établissement sanitaire et médico-social), Michel REINETTE (journaliste), Pierre REINETTE (haut fonctionnaire retraité), Viviane ROLLE-ROMANA (psychologue), Tony ROMUALD (médecin au CHUG), Christian SAAD (universitaire), Corinne SAINTE-LUCE (médecin), Fabienne SSOSSE (enseignante), Georges VILA (enseignant retraité).

[1] Données santé publique France points épidémiologiques 2021 semaine 32 et 33.




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