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Israël ou la dernière entreprise coloniale occidentale

Y aurait-il désormais en France et en Europe une nouvelle forme implicite de « police de la pensée » qui interdise d’aborder la question israélo-palestinienne comme relevant d’un conflit de nature coloniale ?

 

Car, comment nier objectivement que depuis l’échec des accords d’Oslo en 1993, et en particulier l’assassinat d'Yitzhak Rabin en 1995 par un ultranationaliste juif, ce sont avant tout les partisans du « Grand Israël » – dont la figure de proue n’est autre que Benjamin Netanyahu – qui détiennent le pouvoir politique et miliaire en Israël depuis une vingtaine d’années ? Et que les conséquences pour nombre de Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza ont été désastreuses : Colonisation à marche forcée, exactions répétées des colons envers les Arabes avec le soutien implicite de Tsahal, expropriation des terres des Palestiniens en Cisjordanie, détentions arbitraires, prison à ciel ouvert à Gaza. Au point que Amnesty international dans un rapport bien étayé datant de 2022, n’hésite pas à utiliser le terme « d’apartheid » pour qualifier la politique discriminatoire menée par les autorités israéliennes :

https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/02/israels-system-of-apartheid/

 

Comment en outre nier que Benjamin Netanyahu lui-même a contribué dès 2007 à l’arrivée au pouvoir du Hamas à Gaza au détriment de l’Autorité palestinienne, pensant pouvoir tirer cyniquement profit de cette organisation ouvertement antisémite et terroriste, pour justifier de sa politique vexatoire envers les Gazaouis et les Palestiniens dans leur ensemble ?

 

Que penser enfin de l’indifférence manifeste d’une majorité de l’opinion publique de nombreux pays arabes depuis deux décennies, vis-à-vis du triste sort des Palestiniens ?

 

Quoi qu’il en soit, d’aucuns affirment que l’antisionisme et l’antisémitisme se rejoignent d’une manière ou d’une autre. Cette problématique est en effet délicate, mais ce sont pourtant deux notions bien distinctes, étymologiquement et historiquement.

J’observe pour ma part deux approches philosophiques bien différentes, voire opposées, relatives à la création d’un État juif : celle portée notamment par le physicien Albert Einstein (1879-1955), très critique à l’égard du sionisme nationaliste et religieux, et celle défendue par Théodor Herzl (1860-1904), considéré comme l’un des pères fondateurs du sionisme, et qui avait écrit en 1896 « l’État des Juifs ».

 

Il serait en effet difficile de réfuter le fait que Herzl appréhendait la création d’un État juif au travers d’une vision colonialiste. Dans son essai de 1896, Herzl tâche de justifier pourquoi l’autorisation d’une puissance européenne serait nécessaire à la colonisation du territoire destiné à la création de cet État :

« Deux territoires sont à l’étude, la Palestine et l’Argentine. Dans les deux pays, d’importantes expériences de colonisation ont été faites, elles ont toutefois été menées sur le principe erroné d’une infiltration progressive des Juifs. Une infiltration est vouée à mal se terminer. Elle se poursuivra jusqu’au moment inévitable où la population indigène se sent menacée, et oblige le gouvernement à stopper un nouvel afflux de Juifs. L’immigration est par conséquent futile si nous ne disposons pas du droit souverain de poursuivre cette immigration ».

Herzl prévoyait en effet qu’une telle initiative démarre dans un premier temps « sous le protectorat des puissances européennes ».

 

En outre, dans une lettre que Herzl écrivit en 1902 à Cecil Rhodes (richissime homme d’affaire britannique considéré comme l’un des plus grands colonialistes de son époque, installé en Afrique du Sud, et que certains considèrent comme ayant pu jouer un rôle indirect dans l’avènement de l’apartheid), il lui dit ceci : « Nous vous invitons à contribuer à l’histoire. Non pas à celle de l’Afrique, mais à celle d’un morceau de l’Asie Mineure ; cette histoire ne concerne pas des Anglais, mais des Juifs… Comment se fait-il que je me tourne vers vous, puisque cette question ne vous concerne pas ? Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une affaire coloniale ».

 

Certains pourraient nous reprocher de faire preuve d’anachronisme, et qu’il faudrait resituer les propos de Théodor Herzl dans le contexte de son époque. Pourtant, dès cette époque, en Europe comme aux États-Unis, certaines grandes figures intellectuelles ou politiques n’hésitaient pas à condamner fermement les méfaits des grandes puissances coloniales. Nous pourrions notamment citer Georges Clémenceau, qui à la Chambre des députés en 1885, contre la volonté de Jules Ferry d’entraîner la France dans de nouvelles conquêtes coloniales, déclarait ceci :

« Non, il n’y a pas de droit de nations dites supérieures contre les nations inférieures ; il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu’à mesure que nous nous élevons dans la civilisation, nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir.

La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires, pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence l’hypocrisie… »

 

Qu’est-ce donc en effet que la colonisation, sinon partout et toujours un crime contre l’humain ? Car coloniser, c’est conquérir par la force ou la ruse un territoire, et déposséder les populations autochtones de leurs terres, ou les assujettir. Comment dès lors une quelconque colonisation pourrait avoir joué « un rôle positif » puisqu’il s’agit là d’un crime ineffaçable et impardonnable ?

 

A l’opposé de la conception sioniste de Herzl, Einstein s’est très tôt méfié de celles et ceux qui prônaient la création d’un État juif, avec des arrière-pensées souvent messianiques. En effet, dans une lettre écrite en 1929 à Chaim Weizmann (premier président de l’État d’Israël en 1949), il lui dit ceci : « Si nous nous révélons incapables de parvenir à une cohabitation et à des accords honnêtes avec les Arabes, alors nous n’aurons strictement rien appris pendant nos deux mille années de souffrances et mériterons tout ce qui nous arrivera ». Aujourd’hui, avec le recul, les propos d’Einstein pourraient étrangement apparaître comme prémonitoires.

 

En 1930, dans une lettre à Chaim Koffler, membre de la Fondation pour la réinstallation des Juifs en Palestine, le père de la psychanalyse Sigmund Freud confiait aussi tout son scepticisme à l’égard du projet de création d’un État juif en Palestine, persuadé que cela produirait d’interminables guerres de religions entres Juifs, Chrétiens et Musulmans, sur la terre des Lieux saints. Il préconisait « de fonder une patrie juive sur un sol historiquement non chargé ». Cette lettre de Freud à Koffler fut cachée pendant près de soixante ans, de peur de mettre en échec le projet sioniste au Proche-Orient.

 

Les persécutions dont furent victimes les citoyens de confession juive en Europe, puis la Shoah avec l’extermination de près de 6 millions de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, ébranlèrent les consciences occidentales, découvrant ébaubies que les pays dits « civilisés » avaient produit au cœur même du Vieux Continent, la pire des barbaries : « un crime contre l’humanité ». Les dirigeants occidentaux se démenèrent alors pour prendre fait et cause pour le projet sioniste, tel qu’échafaudé auparavant par Théodor Herzl, et l’État d’Israël fut proclamé en 1948, après que l’ONU ait voté un plan de partage de la Palestine, entre Arabes et Juifs, mais qui ne fut jamais respecté.

1948 symbolise pour les Palestiniens la Nakba (« la catastrophe »), avec l’exode forcé de plusieurs centaines de milliers d’entre eux.

 

En dépit du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et du paroxysme antisémite européen, Albert Einstein maintint sa critique du sionisme tel qu’il se mettait en place. En décembre 1948, pour protester contre la venue aux États-Unis de Menahem Begin qui venait de fonder le parti Herout, ancêtre du Likoud, il publie dans le New York Times avec d’autres éminents intellectuels d’origine juive, dont Hannah Arendt, une lettre très acerbe envers l’extrême droite israélienne de l’époque : « Parmi les phénomènes politiques les plus troublants de notre époque, est l’émergence dans le nouvel état d’Israël d’un parti politique proche de par son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et sa propagande, des partis nazi et fasciste. Il est issu de l’Irgoun, une organisation terroriste, d’extrême droite et chauviniste en Palestine… » Ces mots, certes arides, résonnent avec une certaine acuité quand l’on sait que c’est le Likoud de Benyamin Netanyahou qui est au pouvoir aujourd’hui en Israël, avec une coalition de suprémacistes juifs, et tout particulièrement le très sulfureux ministre Itamar Ben-Gvir.

 

Il y a donc historiquement plusieurs approches différentes sinon divergentes du sionisme au sein de la communauté juive, certains ayant même été opposés au principe de création d’un État juif. Freud pressentait notamment qu’un tel État créé exclusivement sur des bases religieuses, pourrait difficilement devenir laïc. Et il serait absurde de qualifier Albert Einstein ou Sigmund Freud d’antisémites.

 

Cependant, force est d’admettre que c’est la conception colonialiste du sionisme qui s’est imposée dès la création de l’État d’Israël, telle que planifiée par Théodor Herzl, et qui a produit depuis plus de soixante dix ans, tant de souffrances parmi les Palestiniens. Et qui ne peut produire ad vitam aeternam que haines, violences et guerres réciproques.

 

L’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023 est une horreur absolue, et ne peut d’une quelconque manière trouver le début d’une justification ou d’une légitimation. Et le parti d’extrême gauche LFI a commis une double faute morale et politique en s’obstinant à n’y voir qu’« un crime de guerre », alors qu’il s’agit à l’évidence d’un acte terroriste abject. Mais la réponse militaire totalement disproportionnée des autorités israéliennes sur la bande de Gaza, est tout autant condamnable. Plus de 30 000 morts, dont une majorité de femmes et d’enfants, plus de 70% des maisons et des infrastructures détruites, dont les écoles et les hôpitaux, une population assoiffée et affamée et n’ayant plus accès aux soins les plus élémentaires, des pourparlers secrets entre les autorités israéliennes et celles du Congo pour exfiltrer une majorité de Gazaouis vers ce pays d’Afrique, qu’est-ce donc si ce n’est d’une part probablement des « crimes de guerre », mais d’autre part une entreprise de nature de génocidaire ?

 

La convention internationale de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, décrit en effet le génocide comme « un crime commis dans l’intention de détruire, ou tout, ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Rappelons en outre que dans une décision datant du 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice a demandé expressément à Israël d’empêcher d’éventuels actes de « génocide » et de « prendre des mesures immédiates » pour permettre la fourniture « de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza ».

 

Pendant ce temps en Occident, une majorité des responsables politiques, avec le soutien des grands médias d’opinion, minimisent ou sont dans le déni, certains allant même jusqu’à légitimer le massacre en cours à Gaza, en fournissant notamment les armes nécessaires à Israël, avec les États-Unis en premier plan.

 

Dans un article récent paru dans l’Orient-Le Jour, l’essayiste Soulayma Mardam Bey avance l’idée que « les deux rives de la méditerranée sont unies par une histoire coloniale qui tarde à se clore définitivement » :

https://www.lorientlejour.com/article/1411826/au-royaume-de-france-la-palestine-muselee.html

 

Il est grand temps néanmoins de clore le chapitre de la colonisation ou de la néo-colonisation, dont Israël symbolise aux yeux d’une grande partie des anciens pays colonisés le dernier fer de lance du colonialisme occidental. Aimé Césaire dans « Discours sur le colonialisme », nous met pourtant en garde : « Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde… »

 

Je combats depuis toujours tous les fanatismes et les obscurantismes d’où qu’ils viennent, de même que tous les racismes (racismes phénotypiques, l’antisémitisme, l’islamophobie, …). Par ailleurs, je demeure attaché à l’esprit laïc et républicain, que des forces réactionnaires s’obstinent pourtant à opposer à l’esprit d’ouverture et de respect de toutes les différences, dévoyant en cela l’idéal républicain. Enfin, la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 ne doit pas devenir une relique d’un temps révolu, mais plus que jamais nous devons exiger par tous et partout de par le monde, le respect du droit international !

 

Nous devons donc espérer que dans un avenir proche, Benyamin Netanyahou et d’autres hauts responsables israéliens, auront à répondre de leurs actes devant la Cour pénale internationale, dans le cadre d’un procès équitable. De même, nous devons espérer que tous les responsables – commanditaires et exécutants – de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, seront jugés devant cette même Cour pénale internationale.

 

Nous devons en outre exiger un cessez-le-feu immédiat et définitif à Gaza.

 

L’écrivaine et rabbin Delphine Horvilleur affirme dans une interview récente, qu’elle ne croit pas « que la solution viendra des généraux ou des politiques, mais davantage des poètes, de ceux qui ont la capacité de construire par leurs mots d’autres possibles. C’est pourquoi mon livre s’ouvre avec un poète palestinien et se termine avec un poète israélien. Ils sont ceux qui m’aident à croire encore ».

 

Albert Einstein quant à lui, considère que « le lien qui a uni les Juifs pour des milliers d’années et les unit encore aujourd’hui est, par-dessus tout, l’idéal démocratique de justice sociale, couplé à un idéal d’aide mutuelle et de tolérance entre tous les humains ».

 

Les Israéliens et la diaspora juive gagneraient sans doute à davantage prêter attention à ces poètes et éminents penseurs, et à réinterroger l’histoire du sionisme, à l’aune de l’impasse dans laquelle ils se trouvent, par la faute des partisans d’une ligne dure, suprémaciste et colonialiste.

 

Les Israéliens et les Palestiniens, loin des fanatismes religieux qui ne peuvent produire qu’exclusion et haine de l’Autre, devront trouver la force en eux-mêmes, malgré toutes les rancœurs quasi-insurmontables nourries de part et d’autre, de dialoguer à nouveau ensemble, d’égal à égal. La solution ne pourra être in fine que politique. Freud évoquait l’idée d’un État laïc. Certains évoquent l’idée à terme d’un seul État binationnal. Et si finalement la solution n’était autre que l’avènement d’un État laïc et républicain, dans lequel tous les citoyens seraient égaux, quelles que soient leurs croyances religieuses ou leurs cultures ? Les utopies d’aujourd’hui constituent parfois les réalités de demain ou d’après-demain.

 

Guadeloupe, le 4 mai 2024.

 

David Dahomay, cofondateur du Collectif Guadeloupe Ethique et Démocratie (CGED).

 

 

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https://www.alquds.com/en/posts/119459

 

Israel or the last Western colonial enterprise

Is there now in France and Europe a new implicit form of “thought police” which prohibits approaching the Israeli-Palestinian question as being a conflict of a colonial nature?

Because, how can we objectively deny that since the failure of the Oslo Accords in 1993, and in particular the assassination of Yitzhak Rabin in 1995 by a Jewish ultranationalist, it is above all the supporters of “Greater Israel” – whose figure leader is none other than Benjamin Netanyahu – who has held political and military power in Israel for around twenty years? And that the consequences for many Palestinians in the West Bank and Gaza have been disastrous: forced colonization, repeated abuses by settlers against Arabs with the implicit support of the IDF, expropriation of Palestinian land in the West Bank, arbitrary detentions, sky prison opened in Gaza. To the point that Amnesty International, in a well-supported report dating from 2022, does not hesitate to use the term “apartheid” to describe the discriminatory policy carried out by the Israeli authorities:

 

How can we further deny that Benjamin Netanyahu himself contributed in 2007 to the coming to power of Hamas in Gaza to the detriment of the Palestinian Authority, thinking he could cynically take advantage of this openly anti-Semitic and terrorist organization to justify his policy ? vexatious towards Gazans and Palestinians as a whole ?

 

Finally, what should we make of the manifest indifference of a majority of public opinion in many Arab countries for two decades towards the sad fate of the Palestinians ?

 

Regardless, some argue that anti-Zionism and anti-Semitism come together in one way or another. This issue is indeed delicate, but they are nevertheless two very distinct notions, etymologically and historically.

 

For my part, I observe two very different, even opposing, philosophical approaches relating to the creation of a Jewish State: that supported in particular by the physicist Albert Einstein (1879-1955), very critical of nationalist and religious Zionism. , and that defended by Theodor Herzl (1860-1904), considered one of the founding fathers of Zionism, and who wrote “The State of the Jews” in 1896.

 

It would indeed be difficult to refute the fact that Herzl viewed the creation of a Jewish state through a colonialist vision. In his 1896 essay, Herzl tried to justify why the authorization of a European power would be necessary for the colonization of the territory intended for the creation of this state:

 

“Two territories are being studied, Palestine and Argentina. In both countries, important colonization experiments were carried out, however, they were carried out on the erroneous principle of a progressive infiltration of Jews. An infiltration is bound to end badly. It will continue until the inevitable moment when the indigenous population feels threatened, and forces the government to stop a new influx of Jews. Immigration is therefore futile if we do not have the sovereign right to continue this immigration.

 

Herzl in fact predicted that such an initiative would initially begin “under the protectorate of the European powers”.

 

Furthermore, in a letter that Herzl wrote in 1902 to Cecil Rhodes (a wealthy British businessman considered one of the greatest colonialists of his time, based in South Africa, and whom some consider to have played a role indirectly in the advent of apartheid), he told him this: “We invite you to contribute to history. Not that of Africa, but that of a piece of Asia Minor; This story does not concern Englishmen, but Jews... How is it that I turn to you, since this question does not concern you? For what ? Because it is a colonial affair.”

Some might criticize us for being anachronistic, and that we should place Theodor Herzl's words in the context of his time. However, from this period, in Europe as in the United States, certain major intellectual or political figures did not hesitate to firmly condemn the misdeeds of the great colonial powers. We could notably cite Georges Clémenceau, who in the Chamber of Deputies in 1885, against the wishes of Jules Ferry to lead France into new colonial conquests, declared the following:

https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/02/israels-system-of-apartheid/

 

“No, there is no right of so-called superior nations against inferior nations; there is the struggle for life which is a fatal necessity, which as we rise in civilization we must contain within the limits of justice and right. But let's not try to label violence with the hypocritical name of civilization. Let's not talk about rights or duties.

 

The conquest that you advocate is the pure and simple abuse of the force that scientific civilization gives over rudimentary civilizations, to appropriate man, to torture him, to extract from him all the force that is in him for the benefit so-called civilizer. This is not the right, it is the negation of it. To speak of civilization in this regard is to add hypocrisy to violence..."

 

What, then, is colonization, if not everywhere and always a crime against humans? Because to colonize is to conquer a territory by force or trickery, and to dispossess the indigenous populations of their land, or to subjugate them. How then could any colonization have played “a positive role” since this is an indelible and unforgivable crime ?

 

In contrast to Herzl's Zionist conception, Einstein was very early suspicious of those who advocated the creation of a Jewish state, often with messianic ulterior motives. Indeed, in a letter written in 1929 to Chaim Weizmann (first president of the State of Israel in 1949), he told him this: "If we prove incapable of achieving cohabitation and honest agreements with the Arabs , then we will have learned absolutely nothing during our two thousand years of suffering and will deserve everything that happens to us.” Today, with hindsight, Einstein's words could strangely appear premonitory.

 

In 1930, in a letter to Chaim Koffler, member of the Foundation for the Resettlement of Jews in Palestine, the father of psychoanalysis Sigmund Freud also confided all his skepticism with regard to the project of creating a Jewish state in Palestine, convinced that this would produce endless wars of religion between Jews, Christians and Muslims, on the land of the Holy Places. He advocated “founding a Jewish homeland on historically uncharged soil.” This letter from Freud to Koffler was hidden for nearly sixty years, for fear of defeating the Zionist project in the Middle East.

 

The persecutions suffered by citizens of the Jewish faith in Europe, then the Shoah with the extermination of nearly 6 million Jews during the Second World War, shook Western consciences, discovering astounded that the so-called "civilized" countries had produced very heart of the Old Continent, the worst of barbarities: “a crime against humanity”. Western leaders then struggled to take up the cause of the Zionist project, as previously hatched by Theodor Herzl, and the State of Israel was proclaimed in 1948, after the UN had voted on a plan to share the Palestine, between Arabs and Jews, but which was never respected.

 

1948 symbolized for the Palestinians the Nakba (“the catastrophe”), with the forced exodus of several hundred thousand of them.

 

Despite the trauma of the Second World War and the European anti-Semitic paroxysm, Albert Einstein maintained his criticism of Zionism as it was taking shape. In December 1948, to protest against the coming to the United States of Menachem Begin who had just founded the Herout party, ancestor of Likud, he published in the New York Times with other eminent intellectuals of Jewish origin, including Hannah Arendt, a very scathing letter towards the Israeli extreme right of the time: "Among the most disturbing political phenomena of our time, is the emergence in the new state of Israel of a political party close in its organization, its methods, its political philosophy and its propaganda, of the Nazi and fascist parties. He comes from the Irgun, a terrorist, far-right and chauvinist organization in Palestine..." These words, certainly dry, resonate with a certain acuteness when we know that it is the Likud of Benyamin Netanyahu which is at the forefront. power today in Israel, with a coalition of Jewish supremacists, and particularly the very sulphurous minister Itamar Ben-Gvir.

There are therefore historically several different, if not divergent, approaches to Zionism within the Jewish community, some having even been opposed to the principle of creating a Jewish state. Freud in particular sensed that such a State, created exclusively on religious bases, could hardly become secular. And it would be absurd to characterize Albert Einstein or Sigmund Freud as anti-Semites.

 

However, it must be admitted that it is the colonialist conception of Zionism which was imposed from the creation of the State of Israel, as planned by Theodor Herzl, and which has produced for more than seventy years, so much suffering among the Palestinians. And which can only produce ad vitam aeternam hatred, violence and reciprocal wars.

 

The attack perpetrated by Hamas on October 7, 2023 is an absolute horror, and cannot in any way find the beginning of a justification or legitimization. And the far-left LFI party committed a double moral and political mistake by persisting in seeing it only as “a war crime”, when it is clearly a terrorist act. abject. But the totally disproportionate military response of the Israeli authorities in the Gaza Strip is equally reprehensible. More than 30,000 dead, the majority of them women and children, more than 70% of homes and infrastructure destroyed, including schools and hospitals, a thirsty and hungry population no longer having access to the most basic care , secret talks between the Israeli authorities and those of the Congo to exfiltrate a majority of Gazans to this African country, what are these if not on the one hand probably "war crimes", but on the other hand? on the other hand an enterprise of a genocidal nature?

 

The 1948 International Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide describes genocide as “a crime committed with the intention of destroying, in whole or in part, a national, ethnic, racial or religious group”. . Let us further recall that in a decision dated January 26, 2024, the International Court of Justice expressly asked Israel to prevent possible acts of “genocide” and to “take immediate measures” to enable the provision of “the humanitarian aid to the civilian population of Gaza.

 

Meanwhile in the West, a majority of political leaders, with the support of major opinion media, minimize or are in denial, some even going so far as to legitimize the ongoing massacre in Gaza, notably by providing the weapons necessary to Israel, with the United States in the foreground.

 

In a recent article published in Orient-Le Jour, the essayist Soulayma Mardam Bey puts forward the idea that “the two shores of the Mediterranean are united by a colonial history which is slow to end definitively”:

 

https://www.lorientlejour.com/article/1411826/au-royaume-de-france-la-palestine-muselee.html

 

However, it is high time to close the chapter of colonization or neo-colonization, of which Israel symbolizes in the eyes of a large part of the former colonized countries the last spearhead of Western colonialism. Aimé Césaire in “Discourse on Colonialism”, however, warns us: “A civilization which chooses to turn a blind eye to its most crucial problems is an affected civilization. A civilization that is cunning with its principles is a moribund civilization…”

 

I have always fought all fanaticism and obscurantism wherever it comes from, as well as all racism (phenotypic racism, anti-Semitism, Islamophobia, etc.). Furthermore, I remain attached to the secular and republican spirit, which reactionary forces nevertheless persist in opposing to the spirit of openness and respect for all differences, thereby distorting the republican ideal. Finally, the Universal Declaration of Human Rights of 1948 must not become a relic of a bygone time, but more than ever we must demand from everyone and everywhere around the world, respect for international law!

 

We must therefore hope that in the near future, Benjamin Netanyahu and other senior Israeli officials will have to answer for their actions before the International Criminal Court, within the framework of a fair trial. Likewise, we must hope that all those responsible – sponsors and perpetrators – of the terrorist attack of October 7, 2023, will be judged before this same International Criminal Court.

 

We must also demand an immediate and definitive ceasefire in Gaza.

The writer and rabbi Delphine Horvilleur affirms in a recent interview that she does not believe “that the solution will come from generals or politicians, but more from poets, from those who have the capacity to construct other possibilities through their words . This is why my book opens with a Palestinian poet and ends with an Israeli poet. They are the ones who help me to believe again.”

 

Albert Einstein, for his part, considers that “the bond that has united Jews for thousands of years and still unites them today is, above all, the democratic ideal of social justice, coupled with an ideal of mutual aid and tolerance among all humans.”

 

Israelis and the Jewish diaspora would undoubtedly benefit from paying more attention to these poets and eminent thinkers, and from re-examining the history of Zionism, in light of the impasse in which they find themselves, due to the supporters of a hard line, supremacist and colonialist.

 

Israelis and Palestinians, far from religious fanaticism which can only produce exclusion and hatred of the Other, will have to find the strength within themselves, despite all the almost insurmountable resentment nourished on both sides, to dialogue. together again, as equals. The solution can ultimately only be political. Freud evoked the idea of a secular state. Some people talk about the idea of a single binational state in the long term. What if ultimately the solution was none other than the advent of a secular and republican State, in which all citizens would be equal, whatever their religious beliefs or cultures ? The utopias of today sometimes constitute the realities of tomorrow or the day after tomorrow.

 

Guadeloupe, May 4, 2024.

 

David Dahomay, co-founder of the Guadeloupe Ethics and Democracy Collective (GEDC

Interview de Tony ALBINA dans le France Antilles Guadeloupe du 26 janvier 2022

 

L'enseignant, qui comme beaucoup, a décidé de prendre la parole pour refuser la violence, livre son analyse de la crise sociale et sociétale dans laquelle nous sommes englués. Dans ce premier volet de l'interview qu'il nous a accordée, il estime que « nous sommes en régression d'humanité ».

 

 

A propos de la crise que nous vivons, sur quoi aimeriez-vous attirer l’attention de nos lecteurs ?

 

J'aimerais dire aux acteurs de ce mouvement, qu'il y a des limites dans tout ce que nous entreprenons et un mouvement syndical responsable doit pouvoir s'auto-discipliner et se donner des limites dans les combats dans lesquels il s'engage.

 

La pandémie a mis à mal nos rituels de mort, on a dû retarder les inhumations, reconsidérer les rituels et dans l'impossibilité d'honorer nos morts selon les traditions mises en place. C'est quelque chose de particulièrement déstabilisant pour les humains. Accompagner quelqu'un à sa dernière demeure est un moment douloureux et nous avons besoin de rites pour vivre et supporter ces moments-là.

 

J'ai été frappé en voyant cette danse de cercueils avançant dans les rues jonchées de poubelles ou virevoltant sur l'eau dans des petites embarcations. J'ai trouvé ça horrible. Comment un mouvement social n'a pas su faire la différence entre les combats qui peuvent être menés légitimement et la question de la tradition qui consiste à honorer nos morts et leur laisser le soin, entourés de leurs proches et leurs familles, d'aller reposer en paix. Les hommes vivent de mémoire, le moment de l'inhumation est un seuil qui signe notre hominisation mais surtout notre humanité.

 

Dans ces moments-là au beau milieu du mouvement social, nous avons atteint des seuils d'inhumanité. Je regrette qu'il n'y ait eu aucun dignitaire, intellectuel ou scientifique, pour se lever et dire aux acteurs du mouvement social, qu'il y avait là une limite à ne pas franchir et qu'il était indispensable de laisser la société guadeloupéenne enterrer ses morts avec la solennité qui est généralement attachée à cet instant. Le pire c'est que tout cela a été accueilli et donc minimisé en faisant référence au registre de la débrouillardise, "nou fè débrouya" sans se rendre compte que quelque chose de l'ordre de la défection de l'ordre humain, se sur-rajoutait à la pandémie.

 

Il y a une idée profonde dans le christianisme qui est la résurrection des corps. Cette résurrection signifie que les gens que nous avons aimé et côtoyé nous allons pouvoir les retrouver tel quel dans un royaume. Cette idée nous donne une conduite qui consiste à prendre soin des personnes qui nous entourent sur terre dans l'espoir de les retrouver intactes dans l'au-delà.

 

Le mouvement dont nous parlons est un mouvement qui impliquait essentiellement les soignants. Or, la pensée chrétienne de la résurrection des corps est une composante essentielle de l'éthique du soin. Quand j'ai vu les ambulances sur le pont de La Boucan, transférant les malades sur le pont, sur des brancards à pied, alors qu'on sait que dans le soin la rapidité d'intervention est déterminante. Le tout est accompagné d'une grande violence. J'ai compris que la philosophie du soin était mise à mal.

 

« Il faut s’insurger face à ces pratiques violentes »

 

 

Quel enseignement pouvons-nous tirer de ce mouvement social ?

 

La société guadeloupéenne est aujourd'hui fragmentée, morcelée, elle connait un chômage endémique, elle connait la paupérisation de ses composantes, etc.. Il y a lieu de préciser que la philosophie du soin s'est perdue. Prendre soin, c'est prendre soin des corps.

 

Notre hôpital est déjà dans un piteux état et si on laisse se rajouter à cela des défections d'ordre symbolique, nous sombrons en tant que société. Il faut savoir que toute société vit que parce qu'il y a un ordre symbolique qui fait sens pour les uns et les autres. Quand l'ordre symbolique se défait parce que la question de la mort est atteinte, parce que la question du soin est atteinte, parce que la question de la bienveillance envers son prochain est atteinte, quand toutes ces composantes de l'ordre s'affaiblissent, cela veut dire que nous sommes en régression d'humanité.

 

Je veux prendre pour exemple, la façon dont les injures saturent aujourd'hui les discours des syndicalistes avec des allusions infâmes, traitant les gens d'imposteurs, d'incapables, de malfaiteurs ou de vermines. Au nom de quel combat peut-on justifier de telle pratique langagière ? Par ailleurs ces pratiques langagières, tentent de se justifier au nom de notre appartenance au monde créole, le prétexte de : sé konsa nou ka palé.

 

Non !!! Il faut qu'à un moment des personnes puissent s'insurger face à ces pratiques violentes et expliciter leur point de vue, sans craindre quelconque représailles. C'est un peu le but du collectif contre la violence auquel j'appartiens, qui le 8 janvier 2022 a refusé la violence.

 

Le collectif syndical s’appuie beaucoup sur le « nous » pour justifier ses prises de position parfois violentes. Quelle analyse portez-vous à ce sujet ?

Il faut que l'on tire les leçons de ce qui s'est passé à l'hôpital et qu'on fasse en sorte que ce lieu soit sanctuarisé. Le mouvement contre la violence n'est absolument pas anti-syndical, mais il faut que nous apprenions dans ce pays à échanger en argumentant et en circonscrivant la violence. L'hôpital est un lieu qui doit être protégé de toutes perturbations sociales, économiques ou politiques.

 

Depuis les années 90, il y a un grand cadre de référence et d'interprétation du monde vécu en Guadeloupe et ce cadre de référence est un conflit entre la Culture et le Droit. La culture comme le lieu de représentation de soi, d'expression de soi et en face le Droit comme source de normativité (qui règle les choses). Le problème est que pour beaucoup de Guadeloupéens, le cadre légal et normatif porté par l'État français est singulièrement un cadre violent car il ne fait pas droit à l'expression de ce que nous sommes. Et c'est ainsi qu'on a interprété la question du vaccin comme «on piké fòsé», une violence de l'État à l'égard de notre corps.

 

Mais il faut se poser la question, à savoir dans quelle mesure un État dans l'exercice de ses fonctions régaliennes, est autorisé à imposer la vaccination à l'ensemble de ses ressortissants ? On évite de se poser cette question car nous restons arc-boutés sur un «nous» qui serait spécifique, singulier et qui ne trouverait jamais une expression dans la source de la loi telle qu'elle est projetée par l'État français.

 

Mais tenir ce discours relève de l'idéologie. Le virus ne s'est pas adressé uniquement à la communauté guadeloupéenne, à la communauté européenne ou à la communauté coréenne, il s'est adressé à tous, en tant que « vivant ». C'est un phénomène mondialisé qui nous intéresse d'abord en tant que vivant. Si on ne l'aborde pas de cette manière et qu'on reste focalisé sur une communauté (guadeloupéenne) telle qu'en sa singularité, elle prétend proposer autre chose, que ce que propose la science, pour arriver à combattre le virus, le résultat n'est autre que l'impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

 

Nous devons accepter l'idée qu'à un moment devant la complexité des situations, ce qu'on appelle les ethno-culture (ensemble de savoirs, de connaissances, traditions) inscrites dans nos mémoires, ne sont pas suffisantes pour faire face à des situations qui appellent un traitement scientifique, qui secondarisent les ethno-cultures en question. Ce que je crois c'est que nos traditions, notre pharmacopée, notre façon d'habiter le monde, notre rapport au monde, ne présentaient pas les ressources suffisantes pour venir à bout de la pandémie.

 

D'ailleurs on sait maintenant, que beaucoup de Guadeloupéens, lors de cette pandémie, sont arrivés trop tard à l'hôpital, car ils s'adonnaient en amont à la médecine traditionnelle, avant de se rendre à l'hôpital.

 

 

Pourquoi les négociations ont-elles échoué, selon vous ?

 

Ce qui est dangereux avec les syndicats dans ce mouvement, c'est qu'ils prétendent être l'incarnation du peuple. De ce fait, il n'y aurait pas d'intermédiaires entre eux et le peuple, c'est un postulat qui consiste à dire qu'il y aurait une continuité consubstantielle entre ce que le peuple est et vit et ce que les syndicats disent du peuple. Ils prétendent incarner la vérité du peuple.

 

De ce fait s'ils incarnent la vérité du peuple, personnes d'autres qu'eux ne peut parler au nom du peuple. Du coup les politiques sont disqualifiés avant même que commence la négociation. Pour qu'il y ait communication entre deux parties, il faut une reconnaissance réciproque des parties et ce n'était pas le cas, pour les négociations.

 

 

Pourquoi sur la question de la vaccination, des Guadeloupéens ont-ils choisi de suivre Élie Domota plutôt que Serge Romana ?

 

Vous avez d'un côté un leader syndicaliste charismatique et de l'autre un médecin généticien de l'hôpital Necker. Pour préciser la question : pourquoi avons-nous fait le choix de l'idéologie sur la rationalité ?

 

Ma question ne préjuge pas du choix de chacun de se vacciner ou pas. Cependant, je crois qu'il faut que nous apprenions à reconnaitre l'endroit où l'information de qualité se déroule, en fonction de ce que l'on souhaite apprendre. Il faut passer de l'idéologie au savoir, de sorte que nous prenions l'habitude du fait que si nous avons besoin d'une idéologie pour avancer, il faut qu'elle soit fécondée par le savoir, avant qu'elle puisse nous mettre en branle ou en action.

 

 

Ne touchons-nous pas, dès lors, à des éléments constitutifs du Guadeloupéen comme individu oscillant entre différentes rationalités ?

 

Je répondrai en reprenant les mots de Patrick Chamoiseau, le « nous » aujourd'hui n'est pas un "nous" donné. Le temps des communautés où le « nous » était donné est aujourd'hui frappé d'obsolescence. Le « nous » aujourd'hui est en permanence à conquérir, car nous vivons dans des sociétés laïcisées où le processus d'individualisation est quasiment arrivé à terme.

 

En tout cas c'est la trajectoire empruntée par la sphère occidentale à laquelle nous appartenons. Il s'agit d'une individualisation très avancée qui consiste à élire comme représentant de l'espèce humaine, non plus des communautés de sens, mais des individus. Dans cette optique, ce ne sont plus les communautés archaïques et chaleureuses qui doivent accoucher des individus. Aujourd'hui l'atome de la vie humaine est l'individu.

 

Cet individu nouvellement constitué qui a quitté les communautés chaleureuse et archaïques, est celui qui permettra aux sociétés de se reconstituer et de se refonder à partir de son propre imaginaire. De plus, cet imaginaire qui sert de reconstitution aux nouvelles communautés à venir, je ne pense pas, qu'il soit un imaginaire nationaliste.

 

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je n'ai pas adhéré à l'Alyans Nasyonal Gwadeloup (ANG). Je ne crois pas qu'aujourd'hui une communauté puisse se constituer à partir d'un imaginaire nationaliste. C'est un modèle qu'il faut dépasser.

 

 

Sur quel modèle pouvons-nous baser la construction de notre communauté aujourd’hui ?

 

Je pense que notre communauté peut se refaire aujourd'hui autour de ce que Chamoiseau appelle l'imaginaire de la relation. C'est à dire le fait que nous vivons dans un monde qui participe à la vie de toutes les autres communautés du monde. Autrement dit, nous sommes dans le monde et le monde est en nous. C'est la nouvelle donne aujourd'hui.

 

De ce fait, quand je me pose la question : qui suis-je ? En tant que communauté, je pose cette question non plus en rapport avec les valeurs de ma propre communauté, mais à partir de ce que les autres mondes, que j'en sois conscient ou pas, projettent dans mon propre monde. Je m'explique : le territoire des enfants de nos jours, c'est l'écran. Un enfant passe plus de temps sur écran que hors écran et quand un enfant est sur un écran en vérité, il est exposé à toutes les sollicitations du monde. Il habite le monde de façon globale et instantanée.

 

Cette nouvelle forme de constitution de l'individu nous met dans un embarras, voire dans un inconfort métaphysique très puissant. Néanmoins simultanément, cette nouvelle forme de constitution de l'individu nous lie à la somme de la communauté monde, avec laquelle toutes sortes d'aventures peuvent dès lors être envisagées.

 

Dans cette optique nous pouvons imaginer les flux de relations intenses que nous pourrions nouer avec le Brésil. Prenons l'exemple du Zouk qui a inondé le monde aujourd'hui. Je précise que le cas échéant, nous parlons d'un petit pays comme le nôtre, à peine visible sur une carte, qui a envahi le monde par sa puissance de création. Nous serons probablement impactés dans le futur, par d'autres puissances de création venues d'ailleurs, il nous faudra produire la nouvelle communauté à venir, en tenant compte de cette dynamique.

 

 

Quelles actions entrevoyez-vous pour que nous retrouvions une forme d’apaisement et de sérénité ?

 

Notre salut passera par l'autonomisation de la société civile. Afin de régler les urgences qui nous assaillent à savoir : la reconstitution de notre rapport à la mort, la création d'une véritable philosophie du soin et la sanctuarisation des hôpitaux et les écoles. Il faut travailler à l'autonomisation de la société civile.

 

Il est urgent que la Guadeloupe retrouve une certaine forme de pacification, que les Guadeloupéens retrouvent une liberté de circulation, que la Guadeloupe retrouve les conditions pour recommencer à vivre sereinement. L'une des réalités aujourd'hui est qu'avec les bouleversements que nous connaissons beaucoup de nos étudiants actuellement en terminale ont un niveau à peine égal à un élève de troisième. Je le vois en tant qu'enseignant et formateur.

 

J'ai l'impression qu'au nom de la lutte syndicale, au nom de la défense des travailleurs, on s'autorise tout. Ce n'est ni possible, ni viable à long terme. Il y a des limites à poser, des lieux à sanctuariser. C'est la société civile, qui doit investir la sphère publique et se saisir de questions telles que la scolarité et l'avenir de nos jeunes générations.

 

Je m'élève de la plus puissante des manières contre les huiles de vidange versées dans les écoles. C'est une souillure des écoles, c'est à dire une souillure de l'éducation, c'est à dire l'une des atteintes les plus graves que l'on puisse avoir à l'encontre des enfants. L'école doit être sanctuarisée, c'est un acte de barbarie énorme de laisser faire et de laisser envisager, qu'on puisse verser de l'huile de vidange ou dessiner des croix gammées dans des écoles.

 

J'ai l'impression que les Guadeloupéens hésitent à se lever pour dire haut et fort : « Ne touchons pas à nos hôpitaux, ne touchons pas à nos écoles » et ce quelles que soient les circonstances extérieures. Ce qui revient à dire : ne touchons pas à nos enfants, ne touchons pas à l'avenir. Je rejoins Fred Réno, quand il dit brillamment, qu'il y a trois cercles de socialisation qui sont brisés aujourd'hui : l'école, la famille et le tissu associatif. C'est à dire ce qui est au fondement de la société. C'est un peu inquiétant pour l'avenir.

 

Mais c'est aussi une chance de pouvoir s'attaquer au véritable problème. Je crois que lorsqu'un Politiste, professeur des universités, habitué à la prospective et aux analyses complexes, nous alerte sur la fragilisation structurelle de la société à travers le délitement de ses liens fondamentaux. Il serait sage et raisonné, d'y prêter une oreille plus qu'attentive, afin de commencer à élaborer des mesures réparatrices.

Propositions pour une refondation de la démocratie locale en Guadeloupe

 

Préambule

 

Nous rendons publique cette proposition, « pour une refondation de la démocratie locale en Guadeloupe ». Elle reste bien entendu ouverte au débat, c’est même sa finalité première. Nous tenons à préciser que nous sommes un collectif de la société civile guadeloupéenne, et nous ne représentons nullement toute la société civile. Cette dernière est composée de nombreuses associations et d’organisations non directement politiques, de même que des personnes, intellectuelles ou non, qui participent à la vie collective. Toute société a son histoire propre, tout un monde vécu qui la caractérise. Mais cela n’est pas suffisant pour en faire une société civile. Cette dernière advient grâce au « contrat social » qui institue la société politique au moyen d’échanges problématisant ce monde vécu dans un espace public potentiellement ouvert à tous et fonctionnant selon les exigences de la rationalité.

 

Nous restons persuadés que si la participation aux élections, en tant que citoyens, est un des fondements de la démocratie, celle-ci ne peut se résumer à ce seul exercice démocratique, fût-il incontournable. Les  syndicats, les associations, les individus participent à la vie démocratique en dehors des périodes électorales. Seulement, leurs revendications sociales dans une démocratie authentique ne doivent pas perdre de vue toute éthique ni toute humanité dans l’élément de la responsabilité. C’est en ce sens que nous avons condamné les exactions commises au CHU de Pointe-à-Pitre, comme nous condamnons aujourd’hui avec la plus grande fermeté, l’usage de l’huile de vidange comme mode d’action syndicale, substance par ailleurs très toxique, versée dans les établissements de santé et dans les écoles.

 

Notre éthique nous commande, non seulement de condamner ces exactions et les injures qui les accompagnent,  mais plus encore, d’intervenir publiquement avec vigilance pour remplacer ces injures par un débat argumenté. C’est en développant un véritable espace public guadeloupéen que nous pourrons construire un vouloir guadeloupéen, une sorte de volonté générale, fondée sur la rationalité et permettant de développer une véritable intelligence collective.

 

Tel est notre profond souhait.

 

Guadeloupe, le 2 mars 2022.

 

 

 

Propositions pour une refondation de la démocratie locale en Guadeloupe

 

« La démocratie n’est pas une abstraction mathématique mais une expérience vivante du peuple ».

John Dewey

 

S’il est bien un constat partagé par de nombreux observateurs, inquiets de la montée des extrémismes et des populismes de tous bords, c’est celui de la crise de la démocratie représentative, dans le Vieux continent, aux États-Unis, en Amérique latine, en Afrique, et singulièrement chez nous, aux Antilles.

 

Les causes de cette perte de confiance dans la démocratie, voire même d’une défiance généralisée à l’égard de nos représentants légitimement élus – et qui n’est autre qu’une crise majeure du politique et du « vivre-ensemble »  –, sont sans aucun doute multiples et complexes. Pêle-mêle, nous pourrions citer le néolibéralisme qui tend à s’imposer comme une « raison-monde » et qui fait voler en éclats les solidarités acquises au travers de L’État providence, ou encore l’affaiblissement généralisé des espaces publics tels que conceptualisés par le philosophe Jürgen Habermas, du fait des nouvelles « disruptions technologiques » et de l’avènement incontrôlé des réseaux sociaux ; espaces publics pourtant consubstantiels à la démocratie.

 

Pourtant, nous en sommes convaincus, « la démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres » (Winston Churchill, 1947). En effet, que peut-il exister en dehors d’un régime démocratique, sinon la confiscation du pouvoir par un seul ou quelques-uns ?

 

Mais, force est d’admettre que les institutions démocratiques, en France comme ailleurs, n’ont pas su jusqu’alors évoluer avec leur temps. Il apparaît nécessaire d’engager tant au niveau national qu’au niveau local des réformes de fond, afin que ces institutions soient en congruence avec les demandes de plus en plus pressantes et légitimes de nos concitoyens. Ceux-ci ne veulent plus se contenter de mettre un bulletin dans l’urne, tous les cinq ans au niveau national, ou tous les six ans au niveau local, mais qui souhaitent davantage être associés à l’élaboration des normes et des politiques publiques qui ont un impact direct sur leur vie quotidienne.

 

Parmi les pistes possibles de réformes, et en particulier pour celles ayant trait à la vie politique locale, et singulièrement chez nous en Guadeloupe, nous voudrions ici formuler des propositions très concrètes, qui s’inspirent notamment des thèses très pertinentes du constitutionnaliste Dominique Rousseau sur la notion de « démocratie continue » (Radicaliser la démocratie, paru en 2015, et Six thèses pour la Démocratie continue, paru en 2022). Ainsi, nous croyons aux capacités des membres de la société civile, qui constituent les « forces vives » d’un pays, d’une région ou d’un territoire, et qui sont donc des acteurs incontournables de leur vitalité démocratique. Comment dès lors faire rentrer la société civile dans le jeu des différents acteurs de la démocratie locale ?

 

Il existe en Guadeloupe, et peu de concitoyens en ont connaissance, deux conseils consultatifs censés représenter la société civile, dans ses différentes composantes et ses corps intermédiaires : le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) installé dans toutes les régions de France, et le Conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement (CCEE) qui n’existe que dans les territoires ultramarins, depuis la loi de 1982 portant organisation des régions des DOM. Chez nous, le CESER comprend quarante-neuf membres, et le CCEE vingt-cinq membres. Les membres de ces deux instances ne sont pas élus, mais désignés par arrêté préfectoral (représentants des organisations syndicales et patronales, des chambres consulaires, du monde universitaire, culturel et sportif). Ces deux conseils sont obligatoirement consultés par la collectivité régionale sur les projets de budget de la collectivité, ainsi que sur tous les grands projets d’intérêt régional (il est d’ailleurs regrettable qu’ils ne soient pas consultés par le Conseil départemental, qui a pourtant en charge les solidarités sociales et territoriales). Mais le CESER et le CCEE peuvent aussi s’autosaisir s’ils le jugent nécessaire.

 

Or, nous voyons deux faiblesses intrinsèques à ces deux instances pourtant censées émaner de la société civile : elles ne sont que consultatives, sans droit de veto ni pouvoir d’initiative, et elles manquent largement d’autonomie à l’égard de la Région. Ces faiblesses pourraient d’ailleurs expliquer en partie, nonobstant les qualités individuelles de ses membres, le large assentiment et le peu d’esprit critique qui prévalent dans la plupart des avis rendus par le CESER et le CCEE, vis-à-vis de la collectivité régionale. Nous pouvons regretter par ailleurs que ces deux conseils ne disposent pas de leur propre site internet ni de supports de communication, et que jusqu’à ce jour très peu de rapports aient été rédigés par ces instances sur des problématiques et des enjeux d’intérêt régional. Comment dès lors s’étonner que le Conseil régional ne tienne jamais compte des avis de ces instances pour amender ou infléchir telle ou telle décision ? Du coup, le CESER et le CCEE, dans leur configuration et leur fonctionnement actuels, ne sont plus que de simples chambres d’enregistrement qui n’ont aucune influence sur les décisions régionales, contrairement à leur vocation initiale.

 

Par conséquent, nous proposons que le CESER et le CCEE fusionnent pour donner naissance à un nouveau « Conseil de la société civile », qui outre le fait qu’il serait obligatoirement consulté par la Région et par le Département sur leurs projets de budget et sur tout projet d’intérêt majeur pour la Guadeloupe, disposerait d’un réel pouvoir de véto et d’initiative. Ainsi, le « Conseil de la société civile » pourrait décider, à la majorité des 3/5e de ses membres, de demander le réexamen d’un projet de budget ou de politique publique soumis pour avis par la Région ou le Département, et la collectivité concernée serait tenue de délibérer à nouveau sur ce projet, en tenant compte des observations formulées dans leur avis. Bien entendu, dans tous les cas, la Région et le Département auraient le dernier mot.

Le Conseil disposerait aussi d’un pouvoir d’initiative, toujours à la majorité des 3/5e, en proposant à la Région ou au Département, selon le domaine de compétence concerné, d’étudier en assemblée plénière un projet porté par le Conseil, et d’intérêt régional manifeste. La collectivité concernée serait tenue de délibérer sur ce projet. Mais là encore, la Région et le Département auraient le dernier mot quant à l’issue de ce projet.

 

En outre, ce « Conseil de la société civile » pourrait être constitué de 60 membres, serait strictement paritaire, et serait composé pour un tiers des organisations syndicales et patronales représentatives, pour un autre tiers des représentants des chambres consulaires et du monde universitaire, culturel et sportif, et enfin pour un dernier tiers par de simples citoyens, désignés au tirage au sort selon les mêmes modalités que celles mises en  œuvre lors de la constitution de la Convention citoyenne pour le climat. L’ensemble des membres de ce Conseil seraient désignés comme actuellement par arrêté préfectoral. Le renouvellement de ses membres aurait lieu tous les 4 ans, avec impossibilité pour chacun des membres d’effectuer deux mandats successifs. Lors de leur installation, les membres du Conseil bénéficieraient d’une formation initiale obligatoire sur les prérogatives et le fonctionnement de cette instance, mais aussi sur les compétences et l’organisation de la Région et du Département.

 

Afin de garantir l’autonomie du « Conseil de la société civile », celui-ci disposerait d’un budget de fonctionnement propre, assuré par une dotation spécifique qui constituerait une dépense obligatoire inscrite au budget de la Région et du Département, à l’instar du conseil économique, social et culturel de la collectivité de Saint-Martin. Le « Conseil de la société civile » disposerait d’un règlement intérieur rendu public, et élierait en son sein un président et un bureau. Le président serait ordonnateur du budget, et aurait autorité sur le personnel administratif mis à disposition par la Région et le Département. En outre, les postes administratifs vacants au sein du Conseil, feraient l’objet d’une publicité officielle de vacance de poste.

 

Ces propositions, qui pourraient grandement contribuer à redynamiser la démocratie locale en Guadeloupe, et permettre à la société civile de s’impliquer davantage dans les décisions politiques qui les concernent, s’inscrivent pleinement, selon nous, dans le champ de l’évolution institutionnelle. La République offre désormais la possibilité à chaque territoire, et plus particulièrement aux territoires ultramarins, de choisir à la carte les adaptations législatives et règlementaires qu’ils jugent pertinentes et nécessaires, au regard de leurs caractéristiques et  contraintes particulières. Nous devons donc nous en saisir.

 

C’est pourquoi, nous nous adressons solennellement aux présidents de la Région et du Département, pour qu’ils prennent l’initiative de réunir prochainement le Congrès des élus  départementaux et régionaux, conformément aux dispositions de l’article L. 5915-1 du CGCT, afin de débattre et de délibérer sur ces propositions d’évolution institutionnelle visant à la refondation de notre démocratie locale. Il reviendra ensuite au Gouvernement et au législateur d’opérer ces réformes voulues par les deux assemblées locales, et touchant au code général des collectivités territoriales, tant dans sa partie législative que règlementaire.

 

Les membres co-fondateurs du collectif du 8 janvier 2022, « Guadeloupe, éthique et démocratie » et autres personnalités de la société civile :

Tony ALBINA, Rita AZAR, Jenner BEDMINSTER, Marcel BRIDE, Pierre-Yves CHICOT, Elyzabeth CHOMEREAU-LAMOTTE, Michel CORBIN, David DAHOMAY, Jacky DAHOMAY, Patricia DELMAS, Sonia DERIAU-REINE, Vincent DERUSSY, Danièle DEVILLERS, Harry DIADO, José DUBREAS, Dominique DUPONT, Michel EYNAUD, Jan-Marc FERLY, Hervé GUIBERT, Elisabeth GUSTAVE, Béatrice IBENE, Alain JOSEPHINE, Bruno JOFA, Olivier LABOISSIERE, Max LAURENT, Guy LUBETH, Viviane MELYON-DEFRANCE, Richard MANICOM, Nicolas MERON, Jean-Marc MONTOUT, Rosan MONZA, Errol NUISSIER, Harry OZIER-LAFONTAINE, Jacques PAUL, Pascale POIRVILLE, Emmanuel RAVI, Michel REINETTE, Pierre REINETTE, Michel RENE, Christian SAAD, Steve SALIM, Georges VILA, Claudette VILO.

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